La troisième édition des « 24 Heures du droit » s’est déroulée le 04 avril 2014 au Mans dans l’écrin footballistique sarthois qu’est le stade MMArena. Comme chaque année, la manifestation a compris trois temps distincts :

  • un colloque (consacré au(x) droit(s) au / du football),
  • le jeu interuniversitaire  « Qui veut gagner des Foucart ? »,
  • ainsi qu’un fabuleux gala (« le gala des XXIV heures » et son réveil matutinal)

Les actes du colloque « Droit(s) du football » ont été publiés (juin 2014 / Editions l’Epitoge — Lextenso).

LE COLLOQUE

Propos Conclusifs audit colloque :
Spécificités du droit du football :
mythe ou réalité ?

Denys Simon & Hélène Hoepffner
Professeur de droit public à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne,
Directeur de l’Ecole doctorale de droit international et européen (Iredies)
& Professeur de droit public à l’Université Toulouse Capitole I
(Institut Maurice Hauriou), membre du Collectif L’Unité du Droit

Les conclusions d’un colloque aussi riche que celui-ci commencent nécessairement par des remerciements, qui seront de surcroît, profondément sincères.

Comme Carlo Ancelotti au soir de la victoire du Real Madrid sur Grenade le 25 janvier dernier, nous devons commencer par « remercier tous les joueurs qui se sont exprimés sur le terrain (…). Ce succès est celui d’un travail réalisé par tous les acteurs ». Pour continuer dans le même style inimitable des commentaires d’après match, ces remerciements s’adressent principalement aux deux coaches – Mathieu et Mathieu – sans lesquels nous ne serions rien. Comme le disait Patrice Evra, « il faut rendre César à César ». Les « 24 h du droit » sont un triomphe manceau et plus largement un triomphe national, qui confirme la place de l’Université du Maine dans la Ligue 1 des universités françaises.

Comme aimait à le dire le Kaiser Franz Beckenbauer, « il n’y a que deux solutions : gagner, perdre ou faire match nul ». Incontestablement, aujourd’hui, c’est gagné, grâce à l’investissement considérable du Professeur Touzeil-Divina. Nous voudrions également remercier les personnels administratifs et les étudiants qui ont si bien assuré la logistique de ce colloque. Grâce à vous, il est possible d’emprunter ces mots à Franck Ribery : « c’est beau ce stade qui est toujours plein, à domicile comme à l’extérieur ».

Il sera difficile dans les prochains colloques de droit du sport de faire mieux. Comme le disait récemment Arsène Wenger, « quand on s’est habitué au caviar, il est difficile de retourner aux saucisses… ».

Pour en revenir à l’exercice délicat des conclusions, ayant appartenu au même centre de formation que les deux Mathieu(x), il nous incombe de contribuer modestement à cette réflexion sur les rapports du football et du droit.

L’exercice n’est pas si simple, au terme de cette journée particulièrement dense, d’autant que tout semble avoir été dit par les intervenants. Et surtout parce que la réflexion que nous comptions suggérer sur les rapports entre droit et football figure déjà de manière percutante dans l’avant-propos de Mathieu Maisonneuve à l’ouvrage collectif qu’il a dirigé, Droit et coupe du monde[1]. Faut-il redire que le mariage du droit et du football a des airs de mariage de la carpe et du lapin ? Faut-il redire que le droit et le sport ne font pas toujours bon ménage, mais que finalement le droit et le football sont mariés pour le meilleur et pour le pire ? Certains continuent à y voir un mariage forcé entre la règle sportive et la règle étatique, ou la règle européenne. D’autres – et nous sommes plutôt sur cette ligne – y voient un mariage de raison, l’irruption du droit dans la pratique sportive n’étant pas un mal nécessaire, mais un instrument de protection des acteurs, d’organisation sociale, et de développement de la diffusion des événements sportifs.

C’est reconnaître comme Gérald Simon que « le sport en général, ce qui vaut pour le football en particulier, est un monde de droit »[2].

Cette journée [et les actes qui en sont issus ont] bien montré que le droit est omniprésent dans le monde du football. Il suffit d’évoquer, à la manière d’un inventaire à la Prévert, le développement de la « lex Fifa »[3], la lutte anti-dopage, la définition des équipes nationales, l’autonomie des fédérations, le statut des arbitres, les mécanismes de responsabilité et d’assurance, l’organisation des clubs, les transferts de joueurs…

On peut ajouter que toutes les branches du droit sont concernées, qu’il s’agisse du droit privé (droit des contrats, droit de la responsabilité civile, droit du travail, régime de la publicité, règles applicables aux paris sportifs, droits de retransmission), du droit public (droit administratif, droit des services publics, droit du domaine public et de l’urbanisme, droit fiscal, finances publiques), et bien sût droit de l’Union européenne (libre circulation des personnes, des services, des capitaux, règles de concurrence, régime des aides publiques) ou encore droits fondamentaux, y compris l’égalité entre les hommes et les femmes, ou la condamnation des discours homophobes de la part des dirigeants[4].

Même si, comme on le verra, une partie de ces questions concerne le droit du sport en général, le football apparaît comme un laboratoire particulièrement significatif de cette interpénétration du sport et du droit. Ce constat s’explique aisément.

Il s’explique d’abord par le fait que le football est un phénomène universel. Il est même le phénomène le plus universel (notamment grâce à la couverture planétaire que lui assure la télévision), beaucoup plus que la démocratie ou l’économie de marché, dont on dit pourtant qu’elles n’ont pas de frontières. En témoigne le statut de l’équipe nationale de football considérée comme l’incarnation d’un Etat, voire comme l’image symbolique de la Nation.

Ce constat s’explique ensuite par le fait que le football soit un phénomène social. Il est une pratique suffisamment répandue pour être considérée comme un phénomène de masse. Il est aussi un spectacle de masse (assez attirant pour que le nombre de spectateurs ne cesse de croître) et un spectacle à part en ce qu’il raconte en accéléré la condition humaine, le roman mythique des individus avec leurs revers et leurs succès, les chances inespérées et les injustices.

On comprend bien, à travers ces considérations sociologiques[5], que le football – en raison de son universalité et de sa dimension sociétale – soit appréhendé par le droit et, le cas échéant, par un droit spécial. On peut même dire que l’activité footballistique, dès lors qu’elle dépasse le football des cours de récréation ou des cours d’immeuble, un peu à la manière de la morale dès lors qu’elle cesse d’être un exercice du for interne ou de la culture dès lors qu’elle donne lieu à une commercialisation, est confrontée au droit et au jugement. On avait déjà eu l’occasion de la souligner : « par hypothèse, le sport suppose l’organisation collective, la régulation sociale, l’édiction de règles du jeu, l’appréhension de la transgression et la sanction de la violation. Le droit est donc consubstantiel à l’activité sportive en général et au football en particulier »[6].

On peut même aller au-delà et affirmer que c’est le football qui a fait rentrer le droit dans le sport. Les faits en témoignent. Le grand public situe approximativement la date de rencontre entre le football et le droit à l’affaire Om-Va en raison des proportions prises par cette affaire : celle-ci a fait l’objet d’une couverture télévisuelle supérieure à celle de la Guerre du Golfe de 1996 et constitue la seule affaire ayant mobilisé autant de ressources financières sur les dix années précédentes que l’affaire Grégory ! Le grand public juridique déplace de quelques mois cette rencontre entre le football et le droit. Il la situe en 1995, avec l’arrêt Bosman[7] aux termes duquel la Cour de justice a considéré que les règlements de l’Uefa et notamment ceux instaurant des quotas liés à la nationalité étaient contraires à l’article 48 du Traité relatif à la libre circulation des travailleurs entre les Etats membres.

Pourtant, cet arrêt n’était pas le premier concernant les relations du sport et du droit communautaire. Deux arrêts importants avaient déjà été rendus : l’arrêt Walrave[8] en 1974 (même s’il s’agissait de cyclisme sur piste et non de football) et l’arrêt Dona c/ Montero[9] en 1976, relatif aux transferts de joueurs. Mais si l’arrêt Bosman a tant marqué les esprits, c’est sans doute parce qu’il est le premier à avoir été réellement respecté par les pouvoirs sportifs. Peut-être aussi parce que tout en encadrant strictement les transferts de joueurs, la Cour de justice a admis « l’importance sociale considérable que revêtent l’activité sportive et, plus particulièrement, le football dans la Communauté » (Bosman, pt. 106). En réalité, on le sait grâce aux propos de Mathieu Touzeil Divina, la confrontation du droit et du foot date de la première moitié du XXe siècle.

En tout cas le temps n’est plus où le droit était présenté comme un intrus dans le monde sportif, où les juristes étaient considérés comme des envahisseurs qui procédaient à une immixtion illégitime dans le domaine noble et désintéressé du sport. Le temps de l’allergie du monde du sport aux virus du monde du droit est dépassé. Le temps n’est plus où l’arrêt Heylens de la Cour de justice des Communautés européennes, qui exigeait que puisse s’exercer un contrôle juridictionnel sur les décisions des clubs en matière de recrutement des entraîneurs, apparaissait comme un scandale, dans la mesure où les statuts de la Ligue excluaient tout contrôle sur le pouvoir discrétionnaire des dirigeants des clubs[10]. Le temps n’est plus où un dirigeant pouvait déclarer impunément : « Quitte à dissoudre le Steaua, je ne prendrai pas un homosexuel dans l’équipe ! Il n’est peut-être pas homosexuel. Mais s’il l’est ? » [11]. Le temps n’est plus où un club de l’importance du Barça pouvait impunément violer les règles de la Fifa sans être sanctionné par les instances disciplinaires de la Fifa pour transfert de 10 joueurs mineurs, avec à la clé une interdiction de recrutement pendant deux périodes de mercato consécutives[12].

Le monde du football reconnaît désormais que la pratique sportive ne peut plus être un monde de non droit.

Même si cela semble acquis, la discussion demeure ouverte sur une question en quelque sorte subsidiaire : faut-il pour autant soumettre le sport en général et le football en particulier à des règles spécifiques, à une sorte « d’exception footballistique », ou faut-il au contraire accepter la soumission du football aux règles de droit commun, c’est-à-dire une admettre une banalisation de l’activité sportive qui devrait être appréhendée comme toute activité humaine par les mêmes règles et les mêmes juges ? C’est à cette question que nous voudrions consacrer quelques observations (…).

Une spécificité revendiquée

Le « monde » du football revendique souvent qu’un droit spécial lui soit appliqué. Le « monde » des juristes s’interroge sur l’opportunité d’un tel droit ainsi que sur son existence. Ce « match » nous invite à nous poser deux questions successives. Existe-t-il une spécificité du droit du football au sein du droit du sport ? Et existe-t-il une spécificité du droit du sport par rapport au droit en général ?

Le présent colloque – son thème, son titre – tend à accréditer l’idée d’un particularisme du droit du football. Nombre des interventions (…) vont en ce sens. D’aucuns ont souligné le caractère auto régulé de la discipline et la spécificité de sa justice : une justice privée internationale. L’équipe mancelle a cherché à démontrer l’existence d’un « service public footballistique » auquel on appliquerait des « lois de Rolland » revisitées. L’équipe mancelle encore[13], puis les équipes Vips et Themis-Um ont souligné la spécificité de la place de la femme dans ce sport. L’opposition entre la Fifa et la Fff quant au port du voile, particulièrement emblématique, vous donne raison. Le football – ou plus exactement l’organisation des matchs de football – entraîne en France la création d’un véritable droit dérogatoire : un droit du football.

On peine à l’expliquer, sauf par la place occupée par le football dans le contentieux sportif. Il faut pourtant se rendre à l’évidence : le football conduit à une adaptation du droit commun qui laisse souvent dubitatif. Deux exemples permettent de s’en convaincre.

Le premier n’a guère été évoqué. Il s’agit de la loi n° 2011-617 du 1er juin 2011 dite Euro 2016. Cette loi est contient trois articles… et trois dérogations. Pour faciliter la construction ou la rénovation des stades devant accueillir l’Euro 2016, le législateur déroge au droit des aides locales, autorise l’octroi de subventions publiques aux maîtres d’ouvrages privés titulaires d’un bail emphytéotique administratif (Bea) et permet d’insérer, dans ces contrats, des clauses compromissoires. On ne peut mieux résumer la situation que Guylain Clamour avec sarcasme[14] : peu importe que le droit des contrats publics soit déjà « en miettes »[15] ! « Pensez donc, là on parle de football, d’organisation de l’Euro 2016, de ‘vitrine pour le savoir-faire français en matière d’accueil des grands évènements internationaux’[16] et du « point noir » que constitue l’obsolescence des stades français. Alors au diable l’avarice juridique et bienvenue dans la boutique législative du sur mesure ! La loi du 1er juin 2011 taille ainsi aux contrats publics de construction ou de rénovation des stades concernés un habit ample, dans un tissu économique serré. Trois grandes séries de dispositions en font le style, dérogeant principalement à la coupe classique du bail emphytéotique administratif ».

Le second exemple illustrant l’adaptation du droit commun à cette activité spéciale qu’est le football a été donné par Mathieu Maisonneuve : il s’agit de la décision de la Commission du 18 décembre 2013[17] autorisant les aides françaises à la construction et à la rénovation de stades en prévision de l’Euro 2016. Certes, la Commission exerce un examen classique de la conformité de ces aides aux règles du droit de l’Union européenne, mais elle leur réserve un sort spécifique : elle fait preuve d’une souplesse particulière pour apprécier leur conformité au Traité en raison de l’objet de ces mesures : « renforcer la promotion du sport et de la culture » au sein du marché intérieur. Cette souplesse laisse pourtant perplexe lorsque l’on sait que ces aides vont aussi contribuer à financer, en France, des stades privés, pudiquement appelés lieux privés d’intérêt public (à Lyon et Ajaccio).

Malgré ces exemples, on peine à admettre qu’il existe une réelle spécificité du droit du football. S’il y a une spécificité, nous semble-t-il, ce n’est pas une spécificité du droit du football mais une spécificité du droit du sport. C’est un fait : les activités sportives sont des activités particulières, tout comme les activités culturelles. Par suite, elles font l’objet de règles particulières. Mais cette spécificité n’est pas liée au football en particulier. Elle est liée au sport en général. Autrement dit, il y a une spécificité du droit du sport par rapport au droit commun, mais il n’y a pas de spécificité du droit du football. Ce dernier est du droit du sport, appliqué au football.

Trois exemples permettent de s’en convaincre.

Le statut des supporters d’abord, qui a été évoqué par l’équipe du Clud[18]. Pour l’essentiel, il s’agit d’une question de police administrative. Elle présente néanmoins quelques spécificités adaptées à ce public particulier et à leur lieu de rencontre : les stades. En droit du sport en effet, il existe deux mesures spécifiques : l’interdiction administrative de stade et l’interdiction de déplacement de supporters. Or ces interdictions conduisent à une inversion des principes classiques applicables à la police administrative. Alors que, classiquement, d’une part, la liberté (de circulation) est la règle et l’interdiction l’exception, et, d’autre part, qu’une interdiction n’est légale que si elle est nécessaire et proportionnée aux troubles qu’elle entend prévenir, en « droit du sport », l’exception est progressivement devenue le principe. En raison d’une menace généralisée, de bagarres entre clans rivaux et en particulier entre clans rivaux du Psg, il est désormais possible d’interdire, de façon générale et absolue, le déplacement individuel ou collectif de supporters, dans le but de garantir la sécurité dans les enceintes sportives. Cette « exception » sportive est fréquemment appliquée pour les matchs de football (elle a notamment été appliquée en 2010 pour interdire à tous les supporters du Psg tout déplacement et accès au stade pour un match de coupe de France… ce qui fait sourire compte tenu du soutien affiché du président de la République de l’époque pour cette équipe de football). Elle n’est cependant pas propre au football.

Les droits des joueurs permettent aussi de se convaincre de l’existence d’une spécificité du droit du sport. Cette thématique, évoquée par l’équipe mancelle, a fait l’objet d’un précédent colloque organisé par Mathieu Maisonneuve à l’Université de la Réunion, Droit et olympisme. Reprenons un seul point : l’article 50 de la Charte olympique, qui limite, voire exclut la liberté d’expression des athlètes. Il leur est interdit d’exprimer une quelconque revendication politique ou religieuse dans les arènes des jeux. Là encore : il s’agit d’une spécificité du droit du sport. Il ne s’agit pas d’une spécificité footballistique.

Dernier exemple enfin : le statut de la fédération française de football. Il n’est pas différent de celui des autres fédérations sportives. On peut d’ailleurs se demander si ces fédérations sportives bénéficient réellement d’un statut spécial. Celui-ci n’est finalement guère différent de celui d’un ordre professionnel. En particulier, les sanctions qu’elles prononcent sont des sanctions administratives « classiques », contrôlées par le juge administratif, régies par le principe d’individualisation des peines[19]. Elles doivent respecter les règles du procès équitable au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, ce qui devrait aboutir à revoir, comme le suggérait le Président Foucher[20], le dispositif des sanctions automatiques.

Cela conduit à relativiser la spécificité du droit du football, voire, au-delà, du droit du sport.

Une spécificité revisitée

Cette relativisation des particularités du droit du football, qui aboutit à considérer qu’il s’insère dans une catégorie plus générale, celle du droit du sport, comme l’a bien très bien montré dans son intervention Romuald Nguyen[21], n’épuise pas tout à fait l’enjeu de ce colloque.

On peut en effet se demander si l’évolution du football moderne, et notamment l’emprise croissante de la dimension économique et financière de la pratique professionnelle du football, ne conduit pas à lui appliquer de plus en plus des règles de droit commun, comparables à celles qui s’appliquent à d’autres activités culturelles, voire à d’autres activités commerciales. La marchandisation du football conduit nécessairement à s’interroger sur l’application des règles du marché[22]. C’est notamment la raison pour laquelle l’exercice des sports relève du droit communautaire « dans la mesure où il constitue une activité économique au sens de l’article 2 du traité »[23].

Certes, une telle affirmation peut susciter la controverse, de la part des intégristes de l’autonomie du mouvement sportif et du sport en général, comme si l’on admettait, pour reprendre les termes d’auteurs désormais bien oubliés, qu’il était normal de « noyer les frissons sacrés de l’extase religieuse, de l’enthousiasme chevaleresque, dans les eaux glacées du calcul égoïste »[24]. Tel n’est pas le sens de notre propos.

En effet, en premier lieu, il ne s’agit pas d’exprimer une conviction, un souhait, ou moins encore une conception idéologique, mais de formuler un constat portant sur la réalité des choses du football et des mots du droit. La question n’est pas de savoir si cette évolution est positive ou négative, mais de constater le fait que le monde du football a changé. On a relevé à plusieurs reprises au cours de cette journée que les clubs sont des entreprises, que les spectateurs sont des clients, des consommateurs ou des cibles publicitaires.

En deuxième lieu, les observations qui vont suivre ne visent pas le football en général, mais l’organisation économique des clubs. On peut considérer que les aspects liés à l’olympisme, aux championnats entre équipes nationales, aux écoles de football ou au football amateur relèvent d’une analyse différente[25].

Enfin, en troisième lieu, on s’aperçoit que cette prise en compte de la dimension économique du football professionnel ne signifie pas la négation de certaines particularités liées aux activités sportives, mais conduit seulement à les relativiser. On peut illustrer cette application du droit commun aux activités sportives en général et au football en particulier par des indices tirés du droit interne. On peut en prendre rapidement deux exemples tirés de la jurisprudence relativement récente des juridictions administratives.

C’est ainsi que le juge ne reconnaît aucune spécificité particulière à la qualification juridique des stades : dans le cadre d’un contentieux lié à la décision d’un maire de résilier une convention d’occupation d’un stade municipal, le juge administratif a opéré une qualification des plus classiques du stade par le recours aux critères traditionnels d’identification du domaine public (affectation du bien à un service public, en l’occurrence sportif et aménagement spécial)[26].

Il en est de même, s’agissant de la vente de places pour des matchs de football : dans un litige opposant le département du Rhône à l’Olympique Lyonnais, le juge administratif a admis que la mise en concurrence était impossible pour l’achat des places, non pas en raison de l’activité particulière que serait le football, mais tout simplement parce que l’article 35-II-8° du Code des marchés publics dispose que les marchés qui ne peuvent être confiés qu’à un opérateur économique déterminé pour des raisons techniques, artistiques ou tenant à la protection de droits d’exclusivité, sont conclus sans publicité et sans mise en concurrence[27].

Ces deux exemples illustrent l’absence de spécificité des activités sportives et l’application des règles de droit commun sur la domanialité publique ou le droit de la concurrence.

La même démonstration pourrait être faite à propos de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. C’est parce que les clubs professionnels de football sont considérés comme des entreprises exerçant une activité économique et les joueurs comme des salariés des clubs que la Cour a pu développer sa jurisprudence Bosman, comme dans son arrêt Lehtonen[28], même si ce dernier arrêt concernait, il est vrai, le basket professionnel, sport dans lequel on se sert plus souvent de ses mains qu’au football.

Certes, cela ne veut pas dire que les particularités de fonctionnement des clubs ne sont pas prises en compte. En témoigne par exemple l’arrêt rendu dans le litige opposant l’Olympique lyonnais à Newcastle dans l’affaire Olivier Bernard, dans lequel la Cour de justice a confirmé que l’obligation, pour un joueur espoir, de conclure son premier contrat de joueur professionnel avec le club qui l’a formé, est de nature à empêcher son recrutement par un club d’un autre Etat membre, contrairement aux règles relatives à la libre circulation des personnes. Mais la Cour a également admis qu’il convenait de « tenir compte, (…) des spécificités du sport en général et du football en particulier ainsi que de la fonction sociale et éducative de ces derniers », en considérant comme compatible avec le droit de l’Union le versement de dommages et intérêts destinés à couvrir le coût de la formation[29].

On pourrait tirer des conclusions analogues de la jurisprudence du juge de l’Union relative à la retransmission des matchs notamment dans le contentieux Fifa / Uefa. Le juge de l’Union a en effet fait prévaloir, sur les intérêts financiers de la Fifa ou de l’Uefa, l’intérêt général de l’accessibilité au public de la retransmission des événements sportifs d’importance majeure[30], ce qui peut être considéré comme un marqueur de l’originalité du football au sein de la retransmission audiovisuelle.

Il en est de même dans l’arrêt Meca-Medina[31] rendu à propos des règlementations anti-dopage du Cio, où, tout en rappelant que les activités sportives relèvent des règles de libre circulation et de concurrence, la Cour valide les règles spécifiquement liées à la lutte contre le dopage dans les activités sportives.

On peut ajouter que depuis le traité de Lisbonne, la spécificité du sport est reconnue par les traités eux-mêmes, comme en témoigne l’article 165 Tfue[32].

En revanche, dès que la composante sportive apparaît comme accessoire, l’exception sportive s’estompe, comme le montre la jurisprudence sur les paris sportifs, qui sont assimilés en substance aux autres jeux en ligne.

Le mouvement est donc, pour conclure, beaucoup plus dialectique et complexe que certaines observations superficielles le laissent parfois entendre. Certes, le sport en général, et le football en particulier, ne peuvent échapper à l’application des règles de droit commun régissant les autres activités économiques, mais simultanément, le particularisme des activités sportives, et encore une fois du football en particulier, est de plus en plus reconnu[33].

La même tonalité se dégage du rapport Braillard sur le fair-play financier européen et son application au modèle économique 
des clubs de football professionnel français[34].

Reste la question plus fondamentale, on pourrait dire fondatrice : s’il est vrai que le football est pénétré par le droit, comme cette journée l’a bien confirmé, le droit n’a sans doute pas encore construit toutes les catégories juridiques qui permettraient d’appréhender le sport en général et le football en particulier, en tout cas de manière systématique et cohérente.

La confrontation du ballon rond et du droit bien carré demeure ouverte…

LE JEU

Ici quelques souvenirs de la 3e édition du jeu et son célèbre « Juridical Pursuit ».

LE GALA

Comme chaque année, les « 24 heures du droit » se sont clôturées par un fabuleux gala, théâtre d’une ambiance endiablée.

& APRES 24 HEURES
de FOLIE JURIDIQUE ?

Et voici les gagnant.e.s de l’édition 2014 ! Celles & ceux ayant totalement vécu les « 24 heures » du Droit.

 

[1] Maisonneuve Mathieu (dir), Droit et coupe du monde, Paris, Economica ; 2011.

[2] Simon Gérald, Puissance sportive et ordre juridique étatique, Paris, Lgdj, 1990, p. 1.

[3] V. sur la définition de la lex Fifa, Latty Franck, « La lex Fifa » in Maisonneuve Mathieu (dir), Droit et coupe du monde, op. cit. p. 9 s.

[4] Cjue 25 avr. 2013, aff. C-81/12, Asociaţia Accept ; V. Simon Denys, « L’homophobie devant le juge de l’Union », Europe 2013, Repère 5.

[5] V. not. les nombreux travaux consacrés au football comme « fait social total », not. in Football et passions politiques, Monde diplomatique, Manière de voir n°39, 1998.

[6] Denys Simon, Propos introductifs, in Maisonneuve Mathieu (dir), Droit et coupe du monde, op. cit. p.1.

[7] Cjce 15 déc. 1995, C-415/93.

[8] 12 déc. 1974, aff. 36/74.

[9] 14 juill. 1976, aff. 13/76.

[10] Cjce 15 oct. 1987, Unectef c. G. Heylens et autres, aff. 222/86.

[11] Simon Denys, « L’homophobie devant le juge de l’Union », op. cit.

[12] Même si la sanction prononcée le 2 avril a été suspendue par la commission d’appel de la Fifa, au moins en ce qui concerne les interdictions de transfert (communiqué du 23 avril 2014).

[13] Voyez respectivement en ce sens les contributions supra relatives aux « Lois de Rolland » appliquées au service public footballistique puis concernant les « femmes des hommes du football (sic) ».

[14] « Dérogations en cascade dans les contrats publics pour l’Euro 2016 », CMP 2011, comm. 190.

[15] Llorens François et Soler-Couteaux Pierre, « Le droit des contrats publics en miettes », CMP 2005, repère 1.

[16] Depierre Bernard, Rapp. AN n°3203, 8 mars 2011.

[17] Comm. UE, communiqué de presse IP/13/1288, 18 déc. 2013 ; Dr. Adm. 2014, comm. 11.

[18] Voyez supra la contribution de MM. Gelblat, Legrand & Touzeil-Divina.

[19] CE 21 oct. 2013, n°367107, Occansey, Dr. Adm. 2014, comm. 19, Zacharie Clémence.

[20] Le jour du colloque, le président Foucher modérait le dernier des ateliers proposés et ici matérialisé par la quatrième partie de l’ouvrage [Note de l’Editeur].

[21] M. Nguyen est le responsable des affaires institutionnelles de la Fff. Sa contribution relative à la gestion du service public footballistique par une personne privée, la Fédération française de football n’est malheureusement pas incluse dans les présents actes [Note de l’Editeur].

[22] V. par ex. Cjce 12 déc. 1974 Walrave et Koch, aff. 36/74 ; 14 juillet 1976 Dona, aff. 13/76.

[23] Cjce 15 déc. 1995, Bosman, aff. C-415/93.

[24] Marx Karl, Engels Friedrich, Manifeste du parti communiste, 1848.

[25] Même si des considérations économiques et financières ne sont évidemment pas absentes…

[26] CAA Nantes, 15 nov. 2013, Assoc. Stade Nantais Univ. Club et autres, n°11NT02688, Ajda 2014, p. 562, Franck Lagarde. On peut évoquer également en ce sens l’arrêt CE 13 juillet 1961, Ville de Toulouse, Rec. 13, ou, la célèbre affaire du stade Jean Bouin, CE Sect. 3 déc. 2010, Ville de Paris, n°338272 et 338527 ou encore CE Sect. 11 juill. 2011 Parc des Princes, n° 339409.

[27] CE 28 janv. 2013, n°356670, Dpt. du Rhône, Jcp A. 2013, act. 114.

[28] Cjce 13 avril 2000, Lehtonen, C-176/96.

[29] Cjue Gde Ch. 16 mars 2010, Olympique Lyonnais c. Olivier Bernard et Newcastle UFC, C-325/08, Europe 2010 comm. 165, obs. Simon Denys.

[30] Trib. UE 7 février 2011 Fifa, T-385/07 ; Uefa, T-55/08, Europe 2011 comm. 131 obs. Simon Denys ; Cjue 18 juillet 2013 Fifa, C-204/11 P et C-205/11 P ; Uefa, C-201/11 P ; Europe 2013, comm. 405, obs. Simon Denys..

[31] Cjce 18 juillet 2006, Meca-Medina, C-519/04 P., Europe 2006, comm 294 obs. Idot Laurence.

[32] Art. 165 TFUE : « 1. […] L’Union contribue à la promotion des enjeux européens du sport, tout en tenant compte de ses spécificités, de ses structures fondées sur le volontariat ainsi que de sa fonction sociale et éducative. […]. 2. L’action de l’Union vise […] à développer la dimension européenne du sport, en promouvant l’équité et l’ouverture dans les compétitions sportives et la coopération entre les organismes responsables du sport, ainsi qu’en protégeant l’intégrité physique et morale des sportifs, notamment des plus jeunes d’entre eux. 3. L’Union et les Etats membres favorisent la coopération avec les pays tiers et les organisations internationales compétentes en matière d’éducation et de sport, et en particulier avec le Conseil de l’Europe ».

[33] L’idée est très clairement exposée dans le Livre blanc sur le sport établi par la Commission européenne le 11 juillet 1987 : « : « L’activité sportive est soumise au droit communautaire. […] Le droit de la concurrence et les dispositions relatives au marché intérieur s’appliquent au sport dans la mesure où il constitue une activité économique. » Le même document apporte toutefois quelques aménagements à ce principe en reconnaissant « la spécificité des activités sportives et des règles qui s’y appliquent, comme […] la nécessité d’assurer l’incertitude des résultats et de préserver l’équilibre compétitif entre les clubs participant à une même compétition ».

[34] Assemblée nationale, Rapport d’information, n° 1215, présenté par Braillard Thierry, Buffet Marie-George, Deguilhem Pascal et Huet Guénhaël, 3 juill. 2013.

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